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2012-12-03, 12:11 | رقم المشاركة : 1 | ||||
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Les musulmans et la laïcité
Tariq Ramadan analyse l’inscription de la laïcité dans les différents courants de pensée musulmans présents aujourd’hui en France et plus généralement dans le monde.(18.06.04) Je vais m’en tenir aux grands axes de la réflexion sur la laïcité dans les différents courants de pensée présents aujourd’hui en France et plus généralement dans le monde entier, en me concentrant sur ce que l’on trouve aujourd’hui encore en Europe et en France. Un sujet complexe, pour lequel je voudrais surtout ouvrir des pistes de réflexions plutôt que de donner tous les éléments, qui nous permettraient de comprendre la complexité du positionnement vis-à-vis de la question de la laïcité ou de la sécularisation. Je propose donc une réflexion en trois temps : 1.Une introduction dans laquelle j’aimerais faire trois remarques préliminaires qui me paraissent importantes quant aux considérations sur la laïcité mais également à l’évolution de ces considérations, parce que des évolutions existent, elles sont réelles, elles sont profondes. 2.Ensuite, je mettrai en évidence les positionnements que l’on peut avoir (de façon souvent trop schématique) dans les courants les plus visibles, j’en ai relevé six. En même temps cela ouvre des orientations sur une réflexion qui doit être encore approfondie. 3.Puis la conclusion posera un certain nombre de questions sur la nature du débat qu’il est important de mener. Car, après des années d’expérience sur la question, je pense que les termes du débat par lesquels nous essayons de nous déterminer, montrent que la présence des citoyennes et des citoyens de confession musulmane ne se construit pas en opposition à la laïcité. Le répéter n’est pas forcément une garantie d’être entendu, j’ai même presque parfois l’impression que nous sommes arrivés aux limites de l’explication verbale. Néanmoins, je crois qu’il y a maintenant un certain nombre de considérations beaucoup plus engagées qu’il faut mener. I. Introduction en trois points : a.Quand on parle de la laïcité, je crois qu’il faut absolument, dans l’ordre de la représentation, tenir compte de deux dimensions. La rencontre des musulmans ou de l’univers de l’Islam, avec la laïcité, est de deux natures. Elle est d’abord bien entendu historique, il y a une histoire de cette rencontre, on ne peut pas le nier, on ne peut l’oublier. Elle façonne les considérations théoriques. C’est une réalité constante du droit musulman. On confronte d’abord la réalité avant de construire le droit (le contraire n’est pas vrai : toute la réflexion juridique des musulmans aujourd’hui en Europe vient de l’expérience, du vécu ; elle ne les a pas précédés.) Elle les a précédés formellement, mais elle s’est construite structurellement ensuite. Et il est important de savoir et de se rappeler que la première des expériences véritables, concrètes, que l’univers de la conscience musulmane a avec la notion de laïcité, c’est la colonisation. Une colonisation qui est perçue, comme l’imposition d’un modèle. Un modèle de structuration du champ du pouvoir, donc de la domination, de la loi, de la référence légale et d’un certain type de rapport au religieux, souvent perçu, sous la colonisation, comme la volonté du dominant, du colon, de délégitimer la référence musulmane des pays colonisés. C’est une expérience que l’on ne trouve pas seulement dans toute l’Afrique du Nord, mais également, en Inde et en Asie, également. C’est une expérience historique qui n’est absolument pas un processus de libération de l’espace public mais un processus de domination du champ politique. Le discours des acteurs qui ont bien compris ce rapport à la référence de « la laïcité » et de structuration du champ politique, comme, par exemple, en Algérie, va même utiliser l’instrument du dominant pour libérer la référence du religieux. Ce fut la position qui consista à demander à la France : « Appliquez sur nous la laïcité que vous appliquez sur vous, en métropole. Ce sera un moyen pour nous de libérer notre référence religieuse de votre contrôle et votre domination politique ». Ce qui ne veut absolument pas dire que des acteurs comme Ibn Bâdîs faisaient la séparation entre les deux sphères de la religion et de la politique. Néanmoins ils avaient bien compris en quoi cette séparation pouvait aider le dominé à se libérer de la mainmise du dominant. b. Le deuxième élément important est que la seconde étape de cette relation du monde musulman avec la laïcité ne suit pas l’ordre chronologique, même si fondamentalement cette dimension-là est mise en évidence dans l’expérience des indépendances. Tout ce qui s’est appelée référence à un certain type de processus de sécularisation, ou à un certain type de laïcité n’a pas été, dans la période post indépendances, une expérience fondamentalement démocratique. Prenons l’expérience de la Turquie ou de pays considérés, ou se présentant, comme laïcs, que ce soit la Syrie ou l’Irak : Le moins que l’on puisse dire c’est que dans la conscience musulmane, l’organisation du pouvoir se référant à cette séparation ou influencée par un dispositif sur l’échiquier politique censé être plutôt à gauche ou encore comme le pouvoir bassiste que l’on a eu en Irak, l’expérience de l’application de cette laïcité dans le monde musulman, est tout, sauf l’émergence de la démocratisation. Cela aussi reste dans le type de rapport que l’on a eu à la laïcité, surtout lors des premières migrations, c’est-à-dire que ce que retient la première immigration et qu’elle draine encore avec elle, c’est toute cette représentation négative. c. Troisième point, la question de la migration. Il y eut un moment où l’on ne considérait pas l’univers dans lequel on migrait comme notre univers de référence, c’étaient nos parents, les premières populations, les primo-migrants. Et puis il y a eu l’évolution, de l’intérieur, de l’ensemble de cette réflexion sur la laïcité où l’on va voir apparaître plusieurs dispositions intellectuelles : une disposition intellectuelle qui consiste à dire « ça n’est pas notre référence donc on y vit et on s’y isole ». On verra que cela répond à un courant de pensée actuel, c’est-à-dire « On ne vit dans la laïcité que dans la mesure où la elle nous permet de rester fidèles à nos références. On s’isole donc de ce cadre-là et sans interagir avec ». Vous avez une deuxième disposition qui est un processus d’adaptation. Et une troisième, qui est vraiment le sujet de ma réflexion aujourd’hui, qui n’est pas simplement de s’adapter au cadre mais de voir en quoi ce cadre nous renvoie des questions quant à notre rapport à nos propres références pour savoir si effectivement il n’y a pas à relire notre propre façon de comprendre nos sources dans le nouvel univers qui est le nôtre. Ce ne serait pas simplement s’adapter historiquement mais être interpellé fondamentalement sur les types de rapports que l’on a avec nos propres références. C’est une question qui est, à l’heure où je vous parle, au cœur de la dynamique de la pensée musulmane en Occident, mais également à l’état de questions extrêmement chaudes, en Turquie, en Iran ou en Indonésie. La question de la sécularisation est extrêmement importante aujourd’hui dans le débat sur la référence islamique dans l’Asie en général et dans la société indonésienne en particulier. Ce sont des éléments historiques. Nous devons avoir ce type de rappels pour saisir les enjeux du débat. II. Deuxième question : le plan doctrinal Il s’est très tôt posé à la conscience musulmane et il n’a pas cessé de se poser depuis. La première réponse que donnaient des musulmans quand on leur parlait de séparation de l’Eglise et de l’Etat, était de dire « Mais en Islam, il n’y a pas d’Eglise, donc la question ne se pose pas ». À une mauvaise façon de poser la question, on avait une mauvaise façon d’y répondre. Parce qu’avec un peu d’analyse, on comprend bien que la question n’est pas là. Sur plan doctrinal, cette séparation-là, pose et a posé problème, pas simplement pour les musulmans mais aussi dans la façon dont l’orientalisme parlait de l’islam. Par exemple quand on disait « chez les musulmans, de toutes les façons, il n’y a pas de différences entre les deux univers », on renvoyait aux musulmans un certain type de discours qu’ils tenaient d’ailleurs sur eux-mêmes et on se faisait l’écho, le miroir, de cette réflexion. La compréhension de la laïcité, en raison de la première rencontre historique dont je parlais, et ensuite de la réflexion sur le plan doctrinal, a finalement été perçue, historiquement et fondamentalement, non pas comme la gestion du religieux mais comme son rejet ou une façon de s’y opposer. Cela n’a pas du tout disparu de l’actuelle conscience musulmane. Si vous observez aujourd’hui toutes les dynamiques en d’Afrique de l’Ouest, vous vous rendez compte que vous avez des mouvements qui le comprennent de cette façon. C’est vrai dans l’univers asiatique, c’est vrai aussi dans l’univers africain et arabe. C’est cette perception, la plus souvent trouvée, qui se *******e de ne pas différencier l’Eglise et l’Etat. Ceci sans rentrer dans le débat traditionnel, très ancien, de l’Islam qui distingue des champs de référence entre la rationalité, le dogme et la référence du droit, alors que cela existe depuis bien longtemps. Le deuxième point sur lequel j’aimerais insister me paraît également important : le débat que nous avons sur la question de la laïcité n’est pas simplement une question d’ordre juridique, de droit. Il y a une dimension juridique évidente, je vais y revenir, mais il y a aussi une dimension politique fondamentale. Elle est présente dans le monde musulman, et, c’est une opinion que j’avance, elle est en train de devenir cruciale, centrale, dans la façon dont on traite cette question-là, au sens politique du terme, dans les dispositions, dans les façons dont différents courants sont en train de se positionner sur la scène européenne ou américaine et sur la scène française singulièrement. Et puis, il existe une dimension, qui est de l’ordre de la disposition circonstancielle ou stratégique : je crois qu’il ne faut pas en négliger la portée. J’aimerais prolonger encore ma réflexion en remettant ici en cause un certain nombre de truismes. Ils apparaissent souvent dans le rapport à la question de la laïcité vis-à-vis du monde musulman et vis-à-vis de ceux qui ont migré de ce même monde pour venir s’installer en France ou en Europe et qui sont désormais français ou européens de confession musulmane. La première évidence, qu’il faut absolument contester, est le fait, dans le monde arabo-musulman, pour ne prendre que cet exemple, que tous les « laïcs » sont forcement démocrates. Encore une fois, l’équation simplificatrice qui stipule que dès que l’on défend la laïcité on est forcément démocrate, est non seulement un simplisme politique mais l’utilisation d’une symbolique dont on sait qu’elle fonctionne en Occident. Cela a permis à des gens de justifier au nom de leur référence à la laïcité leur soutien inconditionnel à des dictatures, c’est vrai dans toute l’Afrique du Nord. Deuxièmement, il est de la même façon faux de dire que tous les démocrates sont forcément « laïcs » au sens où ils se référeraient à cette notion aujourd’hui dans le monde musulman. Vous avez des dynamiques qui ne se référent pas à ce terme -parce qu’elles tiennent à rester en communication avec l’univers symbolique musulman - mais qui sont plus démocratiques que les autres. Cela ne veut pas dire, encore une fois, qu’il faille simplifier les choses, mais les références à une terminologie ne sont pas une garantie de l’attitude politique démocratique dans le monde arabe ou musulman en général. Troisièmement, il est faux aussi de dire que tous les courants que l’on nomme « islamistes » sont par nature et par essence opposés à des articulations de la laïcité. Si on écoute un certain nombre de discours, on s’apercevra que chez certains, il y a des évolutions, assez vertigineuses d’ailleurs, de la pensée, quant au fait de savoir comment ces discours s’articulent par rapport à la dimension de la laïcité, du moins à la sécularisation. J’aimerais mettre en évidence ici, dans le débat que nous avons sur la laïcité, qu’il y a encore quinze ans nous avions des idées exportées d’Afrique du Nord. Curieusement, depuis quelques années, on constate le même phénomène avec des personnes qui nous reviennent avec de vieilles évidences. Ces dernières répétées à l’envie, sont finalement les paramètres du « politiquement correct » : dans le monde musulman, la laïcité est détenue par les seuls démocrates, qui sont les seuls laïcs. Tous les autres, opposés à cela ne sont pas démocrates, et surtout sont contre l’Occident. Finalement, on construit un rapport à l’univers islamique fondamentalement caricatural, absolument pas en phase avec les dynamiques internes. Mais ce qui est plus grave, c’est que n’étant pas en phase avec les dynamiques internes au monde musulman, on finit par être complètement déphasé par les dynamiques en cours dans l’univers de référence français lui-même. Dès que l’on fait référence à l’Islam, en tant que citoyen par exemple, en se présentant comme un citoyen de confession musulmane (la confession musulmane ne dit pas tout sur le mode de la citoyenneté) on est soumis à cet ordre de la suspicion qui nous renvoie à ces catégories des pays d’origine. Ce discours-là, il faut le déconstruire aussi. Ce n’est pas simple parce que de ce point de vue-là les préjugés ont force d’évidence à force de répétition. Je pense aussi qu’il faut que nous sortions de la seule dialectique Eglise/Etat, sphère publique/sphère privée, en disant « Voilà, dès que l’on a parlé de cela, on a le mot de la fin » : je pense qu’il faut aller plus loin, car la question est plus complexe. Aujourd’hui, il me paraît fondamental, en particulier quand on vit en Europe, que l’on parle de la laïcité et que l’on essaye de savoir comment se positionnent les différents courants, d’essayer de savoir comment s’articulent « dogme » et « rationalité ». Je crois que c’est le plus important. C’est-à-dire : quelle part donnent les acteurs dans leur engagement citoyen à une rationalité critique ? C’est beaucoup plus important à mon sens de savoir ce que l’on a capitalisé de l’expérience laïque que de savoir si on donne une place à une référence transcendante ou pas. On peut garder une rationalité critique tout ayant une référence transcendante, on peut perdre une rationalité critique sans avoir de référence transcendante mais avec une posture politique dogmatique. III. Les courants de pensée Très rapidement, je voudrais présenter ici six courants, six orientations que l’on voit aujourd’hui s’installer en France et en Europe. Tout d’abord, ceux que l’on nomme souvent « wahhabites » car on ne sait plus très bien ce que cela veut dire, mais en fait il s’agit des salafis. Il s’agit de la tradition littéraliste : ceux qui vont avoir une approche des textes liés à la littéralité. Ils existent en France et partout dans le monde musulman. Ils ont une position par rapport à la laïcité, qui est un clair rejet. La distinction de l’Eglise et de l’Etat, du privé et du public, comme celle du dogmatique et du rationnel (vous avez là les trois niveaux de distinction possible) ne sont pas reconnues par cette tradition parce que fondamentalement leur rapport aux textes est fondé sur une seule méthodologie. Cette méthodologie, « tout ce qui est écrit dans le texte a valeur dogmatique, a valeur de référence et d’orientation » n’est pas la seule dans la tradition musulmane. Elle a une dimension doctrinale mais elle détermine aussi une réalité politique. Elle se réfère à un verset coranique : « Obéissez à Dieu, obéissez à son Prophète et à ceux qui détiennent l’autorité parmi vous ». Leur position politique est celle-ci : on ne conteste pas un pouvoir qui est entre les mains d’un musulman, on ne discute pas la légitimité de son pouvoir. En d’autres termes, c’est : on ne fait pas de politique quand il s’agit de critiquer la politique d’un gouvernement islamique puisqu’il est celui qui détient le pouvoir. On ne discute donc pas de l’autorité politique de l’Arabie Saoudite. Somme toute, c’est faire de la politique que d’affirmer : « On ne fait pas de politique. » Ce courant disqualifie toute position qui se référerait à la laïcité comme provenant de ceux qui ont rejeté ou nié la référence musulmane. C’est à l’œuvre ici, en France. Quelles en sont les conséquences concrètes ? On vit dans un pays, mais on s’isole, on reste dans un univers étranger sans interaction avec l’univers extérieur. Cette réalité-là, on l’observe quotidiennement. Deuxième référence, qui se fonde sur la tradition salafi : elle a la même référence au texte à une différence près, mais qui est radicale, c’est une tradition qui va chercher dans les sources tout ce qui est de l’ordre de la posture politique. C’est ce que l’on a appelé, à partir des années soixante-dix les islamistes radicaux, révolutionnaires ou aujourd’hui djihadistes. Ils développent une lecture littéraliste et politisée des sources. Un verset coranique revient systématiquement dans ce type de discours : « ceux qui ne jugent pas par ce que Dieu a révélé sont « les négateurs », « les injustes » et « ceux qui ont versé dans la perversion ». Ils sont à l’œuvre en Europe. Celui qui a fait la Une des journaux pendant longtemps, le cheikh Hamza à Londres, tout comme la dynamique du parti de la Libération (hizb at-Tahrîr), se fondent sur cette perception : le texte coranique est producteur de structures étatiques. C’est la dimension du retour à un ordre politique à la tête duquel il y a l’imam. Ils sont très minoritaires mais très visibles. Il ne faut pas parler de laïcité aux cadres de ces courants : régulièrement quand je vais en Angleterre, ils sont dans la salle et lancent « Nous sommes dans un système de négateurs, d’infidèles, nous n’avons pas à obéir ». C’est dans leurs rangs que l’on a parfois eu ce que l’on a appelé « l’islamo-criminalité ». L’idée est que l’on a le droit de voler un non musulman, que cela est « halal » (licite). C’est une interprétation, minoritaire, mais elle existe. La position de Al Zaouari, le bras droit de Ben Laden, s’apparente à cette posture. Troisième attitude que nous trouvons à l’œuvre aussi, c’est celle des traditionalistes. Il ne faut pas les confondre avec les littéralistes. Les traditionalistes suivent en général une école de pensée. Ils sont présents aussi et leur position suit une politique de statu quo : on ne fait pas de politique et l’on accepte en général la nature de l’Etat islamique, quelle que soit sa légitimité. On n’entre pas dans ce débat. Tant que l’on peut vivre dans la dimension de l’école de pensée et que celle-ci est respectée, aucune position politique n’est requise ou revendiquée comme telle. L’intuition fondamentale c’est que la légitimité du pouvoir n’existe qu’en fonction de l’application stricte de la tradition musulmane. Il s’agit d’un courant qui se réfère à la tradition d’école et peut aller loin car le traditionalisme peut parfois se marier avec la posture politique. Les Talibans, par exemple, sont des traditionalistes au départ, c’est dans un deuxième temps qu’ils sont utilisés et qu’ils s’auto-utilisent politiquement. Dans un premier temps, ils n’avaient pas de vocation politique. Ils la refusaient. C’est dans un deuxième temps seulement, comme une alternative à la situation en Afghanistan, qu’on a pu utiliser le traditionalisme apolitique pour politiser sa tradition. Sincère en matière de religion, manipulable sur le plan politique. La laïcité dans cette pensée n’est absolument pas à une référence. Quand on est dans un pays laïc, on protège sa tradition, on n’interagit pas dans la réflexion, sur les thèses. La dimension juridique et doctrinale est importante, mais on ne doit jamais oublier la politique dans ce débat. J’aimerais maintenant que l’on examine ceux que l’on présente plus facilement comme étant dans le débat avec la tradition laïque. Ce sont les réformistes. Vous avez plusieurs positions. Et il me semble ici nécessaire d’entrer dans une première étape doctrinale et des horizons politiques. Premièrement, ce que l’on trouve dans la tradition réformiste, c’est la distinction des ordres. En fait, c’est ce qui va se passer, sous la colonisation, et l’un de ceux qui en a le premier l’intuition, c’est Muhammad Abdou. Il a une position extrêmement ferme sur la colonisation : il la rejette. Mais il n’est pas opposé, comme toute la tradition réformiste, à la structuration du pouvoir de ceux qui le dominent. La domination ne disqualifie pas la structuration de l’autre. Elle le renvoie à une relecture de ses sources. Ceci est quelque chose de très important, la réflexion sur la distinction des ordres. Dans toute la tradition réformiste, aujourd’hui, se trouve cette différence entre tout ce qui est de l’ordre du culte, le dogmatique pour faire court, et de l’ordre du rationnel. Donc il y a dans la tradition réformiste l’idée, depuis l’origine, que la production rationnelle a légitimité dans la production légale. Le légal rationnel ne s’oppose pas au référant dogmatique. Ce sont deux sphères qui sont distinctes. C’est de cela d’ailleurs dont on parle dès le Moyen Age. D’Averroès par exemple, on ne retient que le philosophe rationaliste et non le juge réformiste. Dans la tradition andalouse, rien n’est dit sur Ash-Shâtibî, qui lui est dans cette école réformiste. Jusqu’à aujourd’hui, ces écoles de pensée sont en action. Que disent-elles par rapport à la laïcité ? Le champ de référence rationnel qui fait la distinction de l’Eglise et de l’Etat, ne pose pas de problème pour les musulmans. Quant à ce qui est de vivre à l’intérieur d’une société : cette tradition réformiste va produire deux attitudes vis-à-vis de la laïcité. La première est une adaptation. Aujourd’hui en Europe, ce n’est pas notre modèle, mais on peut s’y adapter. Cela veut dire que, dans le modèle dominant, les musulmans trouvent en eux les moyens de l’adaptation. C’est une position doctrinale, mais elle a des conséquences politiques, parce qu’au fond, l’attitude intellectuelle est la suivante : avoir été colonisé ou vivre en Europe, signifie qu’on vit dans un univers de références qui n’est pas le nôtre. Qu’est ce que cela exige de nous ? Par rapport à la laïcité, qui est le produit de l’histoire occidentale, cela exige de nous un travail d’adaptation qui pose la question de savoir comment rester soi là où au départ on est étranger. C’est la question qu’implique ce processus d’adaptation. La construction intellectuelle qui en résulte consiste simplement à relire nos sources à la lumière d’un environnement qui nous impose une certaine façon de nous adapter pour rester nous-mêmes. C’est une attitude, elle est le produit d’un certain réformisme. La deuxième attitude, qui a aussi des conséquences, et c’est celle que vous voyez aujourd’hui en débat dans la communauté musulmane ou dans les communautés musulmanes, ne pose pas la question en termes d’adaptation à un modèle. Elle observe le modèle, et essaye de trouver dans les références qui sont celles de l’Islam, les éléments qui permettent de construire autre chose qui donnerait sa place à la rationalité et aux références, non pas pour s’adapter à un modèle, mais pour l’intégrer à son mode de construction. Et ce n’est pas pareil du tout. Pourquoi est-ce totalement différent ? Parce que l’adaptation confirme d’une certaine façon la domination ou simplement le fait qu’on se protège de quelque chose qui n’est pas nous. La vraie question est de savoir si la différence des champs, d’un point de vue méthodologique, permet à la pensée musulmane contemporaine, non pas simplement de s’adapter à un modèle social dominant qui s’impose à nous mais de produire par elle un champ d’universel qui vive avec ses références-là et qui ouvre le champ de la rationalité collective. Ce n’est plus du tout un travail d’adaptation à la domination, c’est un travail de dialogue sur un plan d’égalité et aussi de fécondation mutuelle. Ce n’est pas non plus similaire politiquement. Prenons l’exemple d’une attitude qui sur le plan légal va avoir des conséquences sur le plan politique : sur le plan légal, on observe l’univers de références et l’on s’y adapte. À la limite, on se dit qu’il n’y a pas d’enjeux. Mais quand vous avez la même attitude intellectuelle d’un point de vue politique, il s’agit alors d’une adaptation au champ de la domination. En termes juridiques, on va plus loin. Vous avez des musulmanes et des musulmans qui font exactement le même travail sur le champ économique. On adapte nos références à la domination d’une certaine forme d’économie, donc on est tout le temps dans l’adaptation et on l’accepte. Or s’adapter à la domination c’est la confirmer. Ce n’est donc plus entrer dans un débat car il n’y a plus de débat sur « qu’est ce qu’on fait nôtre ». Je dis cela car aujourd’hui dans le mouvement réformiste on est à la croisée des chemins. On peut être adapté à la laïcité et très conservateur d’un point de vue politique. Dans la pensée réformiste, il y a de vrais conservateurs. Des avancées ne sont parfois que des mesures d’ajustement. C’est être conservateur économiquement, politiquement et culturellement. Il y a une autre disposition. Elle est fondamentale, et c’est à mon sens celle qui va pousser au bout le processus de la lecture de soi, pour rentrer dans un vrai débat. Je pense qu’aujourd’hui, beaucoup de nos interlocuteurs et même parmi les musulmanes et les musulmans, ne voient pas les enjeux véritables de ce débat, c’est pour cela que je disais qu’il a une dimension doctrinale et une dimension politique. Le réformisme rationaliste est l’autre grande tendance dont il faut parler. Souvent ces réformistes se réfèrent eux-mêmes à une longue tradition musulmane, qui est celle des écoles rationalistes qui remontent au Moyen Age. Je crois qu’il faut continuer à avoir une lecture critique. En effet, tout ce que disent aujourd’hui les rationalistes n’est pas toujours cautionné a posteriori par cette école (al-mu’tazila). Etre rationalistes dans le travail des sources ne signifie pas qu’ils acceptaient la séparation des ordres et des champs de référence. On a aussi, du point de vue de ce rationalisme réformiste, deux courants qui se dessinent, voire trois. Ici il faut savoir que ceux qui se sont présentés comme les rationalistes réformistes ont été perçus au sein du champs de références musulman comme ceux qui ont accepté les termes de la domination. Puisque l’Occident domine avec ses outils, prenons ses outils pour accéder à notre indépendance, voire à devenir les sujets de notre histoire. Il est vrai que pour certains, ils développent une acceptation du jeu de domination politique à partir de la réflexion doctrinale. Et puis vous avez, aujourd’hui, des dynamiques critiques, extrêmement intéressantes, qui sont à l’œuvre en Iran, en Turquie, en Indonésie, qui sont des rapports critiques au texte. Soit par déception vis-à-vis d’un projet social ou alors par l’inversion d’intellectuels qui ont vécu hors d’un univers musulman (comme c’est le cas de toute la réflexion qu’il y a eu en Afrique du sud dont on parle peu mais auxquelles on devrait s’intéresser de manière plus approfondie. Comme l’île Maurice par exemple, où vous avez un vivre ensemble dans la laïcité et dont le président, jusqu’à il y a deux ans, était une personnalité musulmane). On trouve encore ceux que l’on présente comme les tenants d’une certaine forme de sécularisation et qui acceptent la laïcité, les soufis, inspirés de la mystique musulmane. Là aussi, il existe beaucoup de simplifications : les traditions et les cercles soufi sont innombrables. Dans certaines traditions, vous avez parfois une opposition très ferme au principe de la laïcité et certains, au-delà de l’approche mystique, ne cautionnent que la légitimité de la structuration sociale musulmane. Ce n’est donc pas ce que l’on nous présente comme l’exaltation de la sphère privée et la neutralité de la sphère publique. Pas toujours, en tous les cas. Et jamais de la même façon.
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