Comment faire ? Quelle décision prendre ? Comment se situer ? Le mieux est sans doute de purifier son cœur, de s’isoler de la société et de ne plus se préoccuper de soi… modestement, intimement. Il faut se protéger… pas de meilleure protection que l’isolement, la neutralité, le silence. La paix des solitaires. La paix des neutres : ne pas prendre de position, ne se disputer avec personne, ne jamais s’engager complètement… fuir les problèmes. Il y a trop de conflits dans la communauté, trop de tendances parmi les associations, trop de divergences dans la politique… Le mieux est d’adopter une sorte de neutralité passive. « Être bien avec tout le monde »… voilà la solution… une paix à bon compte.
« Ô Prophète, je t’aime en Dieu ! »… « Prépare-toi à l’épreuve ! » À ce compagnon, le Prophète (PBSL) avait montré la voie… d’emblée, immédiatement : la foi, le chemin de la foi, l’amour de Dieu est une épreuve. La paix de ton cœur, l’harmonie entre les cœurs, la fraternité des âmes sont au prix d’un inlassable effort, du plus noble de tous les jihâd de ton être. Vivre pour Dieu est une épreuve, ta communauté est une épreuve, choisir est une épreuve. Incontournable, nécessaire, impérative. Ni la Révélation, ni le Prophète (PBSL) ne t’ont promis « une paix au rabais ». Il faut faire face, écouter, réfléchir, questionner, critiquer, choisir, confronter, s’engager, se réconcilier. Partout, en toutes circonstances, chercher l’harmonie, la conciliation, l’union… mais jamais démissionner, fuir, se cacher.
Tu peux être déçu(e) par tes sœurs ou tes frères, déçu(e) des femmes et des hommes, agacé(e) et las(se) par les querelles et les mesquineries, tu peux être triste… Mais cette humanité est la tienne, elle est ton destin ; cette communauté est la tienne, elle est ton chemin. Vivre pour Dieu, parmi les hommes, est une école qui exige de la patience, de la persévérance, le sens du don et du sacrifice. Être pour Dieu c’est supporter d’être et de vivre avec les hommes… envers et contre tout.
Pas de paix intérieure sans courage. Se nourrir de la confiance en Dieu pour accepter le dépôt de son humanité : c’est le chemin quotidien de la libération. Cela veut dire former ton intelligence, discuter, accepter l’adversité, gérer les conflits, promouvoir la paix et la fraternité au cœur de la communauté, sur le terrain, parmi tes frères et non dans le refuge de ta chambre, de ta « distance passive » et facilement critique. Il est trop facile, trop facile, de critiquer lui ou elle qui s’engage quand tu as fait le bon choix de l’inaction et de la paix des lâches. Déçu de tout, présent nulle part.
L’exil des pieux n’a rien à voir avec cette démission et le Prophète (PBSL), jamais, n’a donné l’exemple d’une spiritualité de la fuite. Jamais. Il trouvait en Dieu, dans le silence, dans la nuit, dans la solitude, la force de vivre avec les hommes et leurs défauts, leur bonté et leurs mensonges, leur fraternité et leurs conflits, leurs efforts et leurs hypocrisies… Sa vie fut une bénédiction et une épreuve et tous ceux qui suivent son exemple le savent et s’y préparent : c’est l’expérience d’une vie.
Mon frère, ma sœur, deviens responsable et adulte. Éduque ton cœur, cherche la paix, réforme tes faiblesses, fais le compte de tes qualités et offre-les à tes frères et sœurs en humanité. Cela veut dire s’engager, gérer des conflits dans la patience, promouvoir la paix dans la justice. Cela veut dire également étudier, s’informer, faire des choix sociaux et politiques, affirmer ses convictions, débattre des méthodes et des stratégies. Cela veut dire enfin chercher la sagesse : connaître le silence avec Dieu sans refuser le débat avec les hommes, aimer la franchise sans jamais confondre avec l’agressivité, apprendre à distinguer entre la maladresse du frère et la trahison du traître… ce n’est pas rien. Lutter de toute la force de son âme contre le mensonge et les hypocrisies et trouver affectueusement soixante-dix excuses à sa sœur et à son frère… Une épreuve.
Extrait du livre “Entre l’Homme et son cœur” Tariq Ramadan