La nomination de madame Nouria Benghabrit Remaoun à l'éducation nationale a provoqué, dès le jour même de son annonce, une levée de bouclier des baathistes qui vient nous confirmer que pour cette faction, l'école algérienne est un trophée qui ne doit en aucune circonstance échapper à leur emprise et empreinte.
Les accusations lancées contre la nouvelle ministre ne portent ni sur son cursus ni sur sa compétence ni sur ses éventuelles conceptions en matière de scolarité. La femme ne porte pas le hidjab, elle est francophone et elle n'est pas connue dans les réseaux conservateurs : elle doit donc être stigmatisée. Comment ? En pointant ses origines, réelles ou supposées, juives. Cela suffit pour embraser la toile : dans la misère morale et intellectuelle ambiante, l'antisémitisme est un gisement de haine inépuisable. L'argument est si explosif qu'aucun dirigeant n'a osé s'exprimer pour s'indigner de cette attaque, chercher à en déterminer l'origine et, surtout, condamner cette xénophobie qui excommunie une personne de la collectivité nationale au motif qu'elle aurait des ascendances judaïques. Au passage, tous les Nord- africains de souche, comme diraient, les adeptes de la « pureté dangereuse », ont été, à un moment ou un autre, de confession juive, mais cela est une autre affaire.
Quand un courant politique qui a fait du terrorisme intellectuel l'arme de domination de l'éducation d'un pays et qu'il rabaisse le débat à ce niveau d'inquisition, il ne faut pas s'étonner que la guerre civile latente reparte au moindre malentendu.
Pourtant, les raisons de revenir sur la désignation de madame Benghebrit à un poste aussi sensible existent. On a déjà dit ici même que l'évacuation de son prédécesseur, Baba Ahmed, avait failli être reportée car des proches du chef de l'Etat estimaient qu'il ne devait pas prendre le risque de déplacer de ce département un homme de confiance quand bien même aurait-il failli à sa mission. L'avertissement, s'il n'a pas suffi à sauver l'ancien ministre, a pesé dans le choix de sa succession. Le tribalisme, érigé en culture d'Etat par Bouteflika, a joué à fond et s'il a finalement accepté de sacrifier Baba Ahmed c'est pour le remplacer par une personne originaire de Tlemcen. Voilà déjà une donnée qui aurait pu interpeller sur le fait que la responsabilité d'un secteur aussi vital pour la nation se décide sur la base de coteries tribales.
Comme, hélas d'autres universitaires algériens, la nouvelle ministre n'a pas toujours su transcender les archaïsmes socio-politiques qui aliènent aux parrainages maffieux le potentiel intellectuel du pays et sa propre promotion se confond avec l'avènement de Bouteflika dont elle fut et reste une des laudatrices les plus en vue avec Madame Toumi dont elle est, d'ailleurs, une amie intime. En retour, Bouteflika l'installera à la direction du CRASC (centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle) d'Oran dès 2000, poste qu'elle gardera jusqu'à son appel au gouvernement malgré de multiples missions dont elle a été ratifiée en sus de cette rente viagère. Structurée par la solidarité tribale, elle transforme le CRASC en think tank du cercle présidentiel et la revue Naqd, naguère espace de réflexion et d'échanges d'une remarquable pertinence dans une université algérienne en perdition, a connu une inflexion caporaliste qui a marginalisé les collaborateurs non convertis aux célébrations des « réformes » de Bouteflika. Plus grave, les convictions messalistes de madame Benghabrit ont sanctionné des chercheurs qui refusaient de s'impliquer dans un révisionnisme qui peine à diffuser dans la recherche historique algérienne.
Il y a donc assez de réserves à émettre sur la consécration d'une femme dont le confortable cursus est plus motivé par les hasards des origines que la qualité de sa gestion ou ses titres et travaux.
Ni l'autoritarisme de la responsable qui a accablé étudiants et chercheurs, ni la chute qualitative d'une institution qui fut la fierté de l'université algérienne avant qu'elle n'en dégrade l'éthique et la production scientifique ne constituent des préoccupations pour les censeurs de l'éducation nationale.
Maintenant que les langues se délient à Oran, le long règne de madame Benghabrit-Remaoun est déjà soumis à la critique de ses pairs. Ce n'est pourtant pas son bilan contestable au CRASC qui va handicaper sa nouvelle mission. Comme toutes les élites qui doivent leur ascension à leur clientélisation, Madame Benghabrit, afin de ne pas affronter les putschistes de l'éducation nationale, va tout faire pour leur donner des gages de son adhésion aux « constantes nationales ». Concrètement, cela en fera une conservatrice plus zélée que le plus fieffé des baathistes.
On ne devient pas impunément ministre de l'éducation parce que l'on s'est mis au service d'un homme dont on partage la tribu. La nomination de madame Benghabrit vient nous rappeler que l'école est toujours le nœud gordien de la régression algérienne : quand elle n'est pas minée par la pédagogie de la violence, elle est broyée entre l'enclume du tribalisme et le marteau de la xénophobie.
Ali Graïchi
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