L’origine des mots
Ce que le maître doit savoir :
Les mots naissent, vivent et meurent, leur signification évolue. Les peuples qui entrent en contact échangent leur lexique. Prendre conscience de ces phénomènes aide les élèves à mieux comprendre ce qu’est la langue française. Pour ceux dont le français n’est pas la langue maternelle, il est essentiel de leur faire sentir comment les langues interagissent entre elles et s’enrichissent mutuellement.
Attirer l’attention des élèves sur l’origine des mots du français leur permet donc d’acquérir l’habitude de s’intéresser au lexique comme réalité vivante, de se donner des critères efficaces pour aborder des mots nouveaux en relation avec des mots déjà connus, de mettre plus aisément en mémoire les mots travaillés.
Le français est une langue relativement récente qui a été identifiée comme langue autonome pendant le haut Moyen Age sur un territoire où l’on parlait de nombreuses langues et où le latin des armées romaines puis de l’Église était devenue la langue du pouvoir, de la culture et de l’intercompréhension.
Les mots du français contemporain sont donc issus pour la plupart du latin ou, dans une moindre mesure, des autres langues qui se parlaient sur ce territoire. Cette longue histoire les a évidemment déformés et adaptés à nos manières successives de parler. Certains mots ont aussi été créés de toute pièce au cours de notre histoire pour désigner des objets techniques ou des concepts scientifiques (dans ce cas, en utilisant souvent des racines ou des affixes du grec ancien). D’autres enfin ont été importés tels quels de langues parlées par des peuples avec qui la France a eu des contacts étroits au cours de son histoire politique, économique ou culturelle (arabe au Moyen Âge puis pendant la période coloniale, espagnol et portugais à la Renaissance, anglais au XIXe siècle, anglais des USA aujourd’hui, etc.). Réciproquement, le français a influencé de très nombreuses langues à divers moment de l’histoire mondiale (l’anglais au Moyen Age lors de la conquête normande, la plupart des langues européennes au XVIIIe siècle, les langues des pays colonisés au XIXe siècle, etc.).
Ainsi, dans le français moderne, on trouve deux types de mots issus du latin : ceux dont l’existence a toujours été attestée depuis l’introduction de la langue sur le territoire (ces mots ont bien évidemment été déformés au cours de leur histoire), ceux qui ont été empruntés au latin à divers moments de l’histoire intellectuelle du pays depuis l’époque carolingienne jusqu’au XIXe siècle. Au premier groupe appartiennent des mots très courants de la langue ordinaire. Par exemple, les mots issus de mots latins commençant par ab- ou ad- comme abante (avant), abbreviare (abréger), adjutare (aider), adripare (arriver), adventura (aventure), etc. Au deuxième groupe appartiennent au contraire des mots techniques ou savants (théologie, sciences, philosophie, droit, etc.). Beaucoup d’entre eux se sont ensuite répandus dans l’usage courant comme âme, moine, correspondre, calculer, etc.
Une conséquence de ce double mouvement est l’existence de nombreux couples de mots issus tous les deux du même mot latin mais dont l’histoire a divergé et qui n’ont plus tout à fait le même sens aujourd’hui : le latin fragilem a ainsi donné frêle et fragile, lat. gracilem, grêle et gracile, lat. navigare, nager et naviguer, etc. D’autres doublets ont pu se constituer par l’emprunt à d’autres langues romanes : noir (français) et nègre (esp. et port. negro). Le latin capsam a donné châsse (français) et caisse (français provenant du provençal ...).
Au-delà de cette base latine, tout au long de son histoire le français a emprunté aux langues qui étaient en contact avec lui et a donné à ses langues de nombreux mots. Des périodes les plus anciennes subsiste un fond gaulois qui se retrouve non seulement en français mais dans les autres langues romanes comme braie, saie, char, savon… ou seulement en français comme benne, charrue, chêne, claie, grève, jante, ruche… (c’est la vie rurale et les techniques de transport qui sont souvent concernés). Les mots d’origine germanique sont arrivés en masse au moment des grandes invasions.
Ce sont des mots du vocabulaire militaire (bannière, brandir, éperon, épier, épieu, étrier…), des mots relatifs à la vie politique (bannie, échevin, gage, gagner…), des mots des techniques de l’agriculture (cresson, haie, hameau, hallier, hanneton, héron, hêtre…). Les langues germaniques ont aussi donné deux suffixes très utilisés : -ard ( richard) et –aud (finaud)…
Les emprunts se sont poursuivis aux époques modernes et contemporaines :
- anglais : dès le XVIIe siècle (vie politique et commerce : budget, chèque, comité, importer, meeting, voter) et au XIXe siècle (sports, techniques : boxe, football, golf, tennis, coke, macadam, rail, wagon...), puis à nouveau à partir de la deuxième moitié du XXe siècle (technologies, habillement, cinéma, informatique : bulldozer, crash, jumbo, ray-grass, pull-over, short, slip, film, flash, star...),
- allemand (vie militaire, nourriture, etc. : bière, bivouac, blindage, cible, espiègle, halte, képi, nouille, obus, sabre, vampire, vasistas, zigzag...),
- italien (architecture, musique, vie militaire : antichambre, appartement, arcade, balcon, corniche, allégro, andante, arpège, cantate, cantatrice, bastion, bataillon, caporal, colonel, embuscade, escadre, estafette, estafilade...,
- espagnol (adjudant, bandoulière, camarade, castagnettes, cédille, embarcadère...). L’espagnol et le portugais ont été des intermédiaires très importants entre des langues exotiques et le français au moment des grandes découvertes : cacao, chocolat (aztèque/espagnol/français), bambou, mandarin (malais/portugais/français). Il en a été de même pour l’arabe au moment où cette langue était la langue du pouvoir dans la plus grande partie de la péninsule ibérique : alcade, alcôve, algarade, mosquée...,
- arabe (sciences, vie militaire, argot : alambic, alchimie, alcool, algèbre, azimut, zénith, amiral, zouave, bésef, bled, clébard, fissa, gourbi, guitoune, maboul, sidi, toubib...),
- grec : de nombreux mots grecs anciens sont arrivés au français par le latin aimant, amande, beurre, église, parole, prêtre.), mais d’autres sont arrivés du grec moderne au moment des croisades ou plus tard, quelquefois par l’intermédiaire du provençal ou de l’italien boutique, émeri, galère, moustache, riz, timbre...,
- la liste des langues ayant fourni des mots au français est impressionnante : néerlandais, langues scandinaves, russe, autres langues slaves, finnois, hongrois, persan, turc, langues d’Afrique, de l’Inde et de l’Extrême-Orient, etc. Il ne faut pas oublier non plus les langues aujourd’hui appelées régionales : provençal, basque, breton, alsacien, dialectes du français...
Les mots techniques ont souvent été formés de manière arbitraire en empruntant des racines ou des affixes au grec ou au latin : pithécanthrope est formé d’éléments qui n’existent pas séparément et que l’on ne peut classer en racine et affixe (anthropopithèque inverse l’ordre des composants). Toutefois, certains éléments d’origine latine bi-, centi-... ou grecque di-, hecto-, télé-, dys-... fonctionnent comme des préfixes, d’autres comme des suffixes (lat. : -cide, -fère-, vore ; grec : -crate, -logie, -scope, - tomie...).