ma seule consolation, quand je montais me coucher, était que maman viendrait m’embrasser quand je serais dans mon lit. Mais ce bonsoir durait si peu de temps, elle redescendait si vite, que le moment où je l’entendais monter, puis où passait dans le couloir à double porte le bruit léger de sa robe de jardin en mousseline bleue, à laquelle pendaient de petits cordons de paille tressée, était pour moi un moment douloureux. Il annonçait celui qui allait le suivre, où elle m’aurait quitté, où elle serait redescendue. De sorte que ce bonsoir que j’aimais tant, j’en arrivais à souhaiter qu’il vînt le plus tard possible, à ce que se prolongeât le temps de répit où maman n’était pas encore venue. Quelquefois quand, après m’avoir embrassé, elle ouvrait ma porte pour partir, je voulais la rappeler, lui dire « embrasse-moi une fois encore », mais je savais qu’aussitôt elle aurait son visage fâché, car la concession qu’elle faisait à ma tristesse et à mon agitation en montant m’embrasser, en m’apportant ce baiser de paix, agaçait mon père qui trouvait ces rites absurdes, et elle eût voulu tâcher de m’en faire perdre le besoin, l’habitude, bien loin de me laisser prendre celle de lui demander, quand elle était déjà sur le pas de la porte, un baiser de plus. Or la voir fâchée détruisait tout le calme qu’elle m’avait apporté un instant avant, quand elle avait penché vers mon lit sa figure aimante, et me l’avait tendue comme une hostie pour une communion de paix où mes lèvres puiseraient sa présence réelle et le pouvoir de m’endormir. Mais ces soirs-là, où maman en somme restait si peu de temps dans ma chambre, étaient doux encore en comparaison de ceux où il y avait du monde à dîner et où, à cause de cela, elle ne montait pas me dire bonsoir.
texte de Marcel Proust
I. Compréhension : (sur 13 points)
(2 pts) 1. Les personnages de ce texte sont :
accepter aussi :
- la mère la maman (ou une femme)
- l’enfant le fils, le narrateur, l’auteur, Marcel Proust, je (ou j’)
(1 pt) 2. La scène se passe le soir ( accepter : la fin de la journée, la nuit, la soirée)
(1 pt) 3.Le pronom relatif souligné (où) renvoie au temps.
(1 pt) 4. Ce moment est douloureux parce que la mère va le quitter après l’avoir embrassé.
(1 pt) 5. L’enfant ne veut pas fâcher sa mère.
(2 pts)6. L’idée de tristesse : douloureux, quitté, fâché.
L’idée de plaisir : (j’) aimais, embrasser, le calme, le répit.
(2 pts)7. Passage descriptif : »mais ce bonsoir durait…un moment douloureux. »
(2 pts)8 .Je voulais la rappeler, lui dire de m’embrasser encore.
demander de…
demander qu’elle m’embrasse encore.
(1pt) 9. Titres possibles :
*souvenir d’enfance
*un moment douloureux
*l’instant tant attendu…
*la mère et son fils
*plaisir d’enfance
*baiser du soir (…)