ÓÇáã ÇáÎíÑ
2013-11-15, 04:18
La peur de l’islam n’est pas un phénomène nouveau. Des générations d’écoliers ont appris par cœur que l’héroïque Charles Martel avait vaillamment arrêté les méchants Arabes à Poitiers en 732. En conséquence, s’est imprimée dans leur psychisme l’image de l’Arabe musulman envahisseur potentiel, barbare assurément. Puis il y a eu la colonisation, la guerre d’Algérie, liant en une histoire commune nos deux sociétés, la française et l’algérienne.
Ces faits renvoient au passé. Mais savons-nous réellement composer avec lui ? Selon Malek Chebel, anthropologue, psychanalyste et auteur avec Christiane Godin de Vivre ensemble, éloge de la différence (Le Livre de poche, 2013), nous sommes encore hantés par un traumatisme collectif : les « indigènes » de la Tunisie ou de l’Algérie coloniales se sont rebellés, armés et transformés en sujets libres, maîtres de leur destin. Et dans l’inconscient des uns et des autres continuent de bouillonner des sentiments douloureux, d’autant plus tenaces qu’ils ne sont pas verbalisés : culpabilité et volonté inavouée de revanche du côté des anciens colons, ressentiment du côté des ex-colonisés
Sémantique et amalgame
Les chiffres clés
42 % des Français voient l’islam comme une menace, et 68 % estiment que les musulmans ne sont pas bien intégrés dans la société. (« Islam et intégration, le constat d’échec francoallemand », Le Monde, 4 janvier 2011, selon un sondage Ifop).
74 % pensent que l’islam « n’est pas compatible avec les valeurs de la société française » (« France 2013, les nouvelles fractures », sondage Ipsos - Le Monde - Fondation Jean-Jaurès - Cevipof, janvier 2013).
Il y aurait en France entre 5 et 6 millions de personnes d’origine ou de culture musulmane, dont 2 millions de pratiquants. (« Trajectoires et origines », Ined-Insee, octobre 2010).
Le souvenir traumatisant de la guerre d’Algérie n’explique évidemment pas à lui seul la peur de l’islam. Nous constatons que déjà, d’entrée de jeu, nous sommes piégés par le langage. En effet, quand nous disons « islamique » nous entendons simultanément « islam », la religion, et « islamisme », l’extrémisme religieux, le terrorisme, le gouvernement des mollahs. Un problème sémantique, qui entraîne d’emblée, dans les esprits, une confusion entre le croyant musulman respectant son prochain et le djihadiste prêt à se faire sauter dans un bus avec une cinquantaine d’innocents.
En psychologie, la phobie est une peur irraisonnée, pas forcément irrationnelle, mais toujours amplifiée. Dans la peur de l’avion, c’est le crash fatal qui est craint. Les avions tombent, c’est vrai. Mais pas tous. Un accident mortel est même rarissime.
Quelle est la « chose » effrayante dans la peur de l’islam ? Le terrorisme, l’invasion par une population aux traditions différentes réputées inassimilables, le ravalement de l’image de la femme ? Toutes ces représentations s’entremêlent, amalgamant les violences en Égypte, celles qui ont secoué Trappes l’été dernier, les prières de rue, le niqab, le hidjab, le 11 septembre… Du même coup, préjugés, malentendus, fantasmes et vraies raisons de s’indigner se percutent.
Un rapport ambigu à l'islam
Notre relation à cette religion s’inscrit sous le signe de l’ambiguïté. Nous sommes fiers de proclamer notre droit au plaisir et à la sensualité. Pourtant, quand nous entendons des extrémistes dénoncer notre impudeur d’Occidentaux, nous nous sentons parfois obscurément coupables. Finalement, est-ce moralement correct de boire, de fumer, d’avoir une vie sexuelle si libérée, d’afficher nos corps dénudés sur la plage ? pouvons-nous être tentés de nous demander, mus par ce vieux fond de culpabilité chrétienne toujours prêt à resurgir.
Et, pour compliquer la situation, à moins d’être des racistes convaincus, et ce n’est pas à eux que s’adresse cet article, après avoir pesté en silence contre ces femmes qui dissimulent leur chevelure, leur visage – « Ce n’est pas possible, elles s’en fichent des valeurs de la république, des combats que les femmes ont menés pour leurs droits », pensons-nous –, une partie de nous murmure : « Tout de même, te gênent-elles vraiment ? Tu devrais être plus tolérant ! » L’humaniste en nous ne se sent pas à son aise d’être ainsi pris en flagrant délit d’intolérance.
Isabelle Taubes
Ces faits renvoient au passé. Mais savons-nous réellement composer avec lui ? Selon Malek Chebel, anthropologue, psychanalyste et auteur avec Christiane Godin de Vivre ensemble, éloge de la différence (Le Livre de poche, 2013), nous sommes encore hantés par un traumatisme collectif : les « indigènes » de la Tunisie ou de l’Algérie coloniales se sont rebellés, armés et transformés en sujets libres, maîtres de leur destin. Et dans l’inconscient des uns et des autres continuent de bouillonner des sentiments douloureux, d’autant plus tenaces qu’ils ne sont pas verbalisés : culpabilité et volonté inavouée de revanche du côté des anciens colons, ressentiment du côté des ex-colonisés
Sémantique et amalgame
Les chiffres clés
42 % des Français voient l’islam comme une menace, et 68 % estiment que les musulmans ne sont pas bien intégrés dans la société. (« Islam et intégration, le constat d’échec francoallemand », Le Monde, 4 janvier 2011, selon un sondage Ifop).
74 % pensent que l’islam « n’est pas compatible avec les valeurs de la société française » (« France 2013, les nouvelles fractures », sondage Ipsos - Le Monde - Fondation Jean-Jaurès - Cevipof, janvier 2013).
Il y aurait en France entre 5 et 6 millions de personnes d’origine ou de culture musulmane, dont 2 millions de pratiquants. (« Trajectoires et origines », Ined-Insee, octobre 2010).
Le souvenir traumatisant de la guerre d’Algérie n’explique évidemment pas à lui seul la peur de l’islam. Nous constatons que déjà, d’entrée de jeu, nous sommes piégés par le langage. En effet, quand nous disons « islamique » nous entendons simultanément « islam », la religion, et « islamisme », l’extrémisme religieux, le terrorisme, le gouvernement des mollahs. Un problème sémantique, qui entraîne d’emblée, dans les esprits, une confusion entre le croyant musulman respectant son prochain et le djihadiste prêt à se faire sauter dans un bus avec une cinquantaine d’innocents.
En psychologie, la phobie est une peur irraisonnée, pas forcément irrationnelle, mais toujours amplifiée. Dans la peur de l’avion, c’est le crash fatal qui est craint. Les avions tombent, c’est vrai. Mais pas tous. Un accident mortel est même rarissime.
Quelle est la « chose » effrayante dans la peur de l’islam ? Le terrorisme, l’invasion par une population aux traditions différentes réputées inassimilables, le ravalement de l’image de la femme ? Toutes ces représentations s’entremêlent, amalgamant les violences en Égypte, celles qui ont secoué Trappes l’été dernier, les prières de rue, le niqab, le hidjab, le 11 septembre… Du même coup, préjugés, malentendus, fantasmes et vraies raisons de s’indigner se percutent.
Un rapport ambigu à l'islam
Notre relation à cette religion s’inscrit sous le signe de l’ambiguïté. Nous sommes fiers de proclamer notre droit au plaisir et à la sensualité. Pourtant, quand nous entendons des extrémistes dénoncer notre impudeur d’Occidentaux, nous nous sentons parfois obscurément coupables. Finalement, est-ce moralement correct de boire, de fumer, d’avoir une vie sexuelle si libérée, d’afficher nos corps dénudés sur la plage ? pouvons-nous être tentés de nous demander, mus par ce vieux fond de culpabilité chrétienne toujours prêt à resurgir.
Et, pour compliquer la situation, à moins d’être des racistes convaincus, et ce n’est pas à eux que s’adresse cet article, après avoir pesté en silence contre ces femmes qui dissimulent leur chevelure, leur visage – « Ce n’est pas possible, elles s’en fichent des valeurs de la république, des combats que les femmes ont menés pour leurs droits », pensons-nous –, une partie de nous murmure : « Tout de même, te gênent-elles vraiment ? Tu devrais être plus tolérant ! » L’humaniste en nous ne se sent pas à son aise d’être ainsi pris en flagrant délit d’intolérance.
Isabelle Taubes